
La première olympienne carboneutre du Canada – Face à ses responsabilités et un avenir des sports d’hiver menacé, Marion Thénault, figures montantes du ski acrobatique veut réduire son empreinte carbone et celle du circuit mondial. En partenariat avec WSP, elle mène un projet de quatre ans pour mesurer, comprendre et minimiser son impact environnemental, sans compromettre sa performance sportive. En marge de Milan-Cortina, est-ce que les jeux sont favorables à une athlète engagée? Peut-on performer en réduisant ses émissions ? L’expérience de Marion Thénault
Performance et planète : comment Marion Thénault réduit son empreinte sans freiner sa carrière
Sport+Eco a fait une entrevue avec Marion Thénault sur ses démarches comme athlète engagée à réduire son impact environnemental. Elle nous a parlé de “ la réduction de 27 % de son empreinte carbone ”, à travers toutes les actions concrètes qu’elle met en place dans son calendrier, sans négliger son confort ni sa performance. Elle a aussi souligné que le calendrier de compétition décidé par la fédérations internationales à un impact considérable de GES des athlètes. Selon son étude, si la compétition de la Chine se déroulait après celle du Kazakhstan au lieu de celle des États-Unis, cela réduirait de 40% les émissions de GES du circuit de compétition.

Sport+Eco : Qui es-tu Marion Thenault ?
Marion Thénault :
« Je suis une skieuse acrobatique, membre de l’équipe nationale, médaillée olympique, et membre de l’équipe canadienne depuis 2020. Plusieurs fois médaillée en Coupe du monde.
Je suis aussi étudiante en génie aérospatial. Je ne sais pas exactement où je m’en vais avec ça, mais le milieu spatial m’intrigue beaucoup. Je sais que ça va être une carrière en science – c’est ce que je souhaite.
Maintenant je fais de l’escalade, du backcountry, tous ces sports de plein air. Je veux aussi prendre soin de mon sport de plein air et de la planète, qui est devenu une partie de moi au fil des années. »
De la gymnastique au ski acrobatique ?
Marion Thénault :
« J’ai fait les camps de recrues RBC en 2017. Alors que j’étais gymnaste, un recruteur de ski acrobatique est venu me voir pour me proposer d’essayer… alors que je ne skiais pas ! Je ne savais pas de quoi il parlait. Mais j’ai dit : “OK, je peux venir essayer.” Et c’est comme ça que ça a commencé. À partir de 2017-2018 jusqu’à mes premiers Jeux en 2022, tout est allé vite. Mon coach a cru en moi dès le début. J’ai appris à skier le premier hiver. Ensuite j’ai fait mes premiers flips, puis mes premiers doubles flips… puis j’ai ajouté les vrilles pour me qualifier pour les Coupes du monde, puis pour les Olympiques.
“Après quatre ans seulement dans ce sport-là, j’étais aux Jeux. C’est assez atypique comme parcours. » – Marion Thénault

Sport+Eco : Qu’est-ce qui t’a poussé vers une démarche écoresponsable ?
Marion Thénault :
« Jusqu’en 2022, je n’étais pas impliquée. Mais après les Jeux Olympiques de Beijing en 2022, ça commençait à me trotter dans la tête. Je prenais beaucoup l’avion, je me demandais si je pouvais faire quelque chose.
En mai 2022, quand j’ai eu l’opportunité de pitcher un projet à WSP, je leur ai proposé de devenir la première athlète carboneutre au Canada, sans vraiment savoir ce que ça impliquait. Ils ont accepté. Ça m’a aidé d’avoir une médaille olympique, j’avais une crédibilité.
Avec cette implication-là, j’ai été invitée à rejoindre Protect Our Winters (POW), ou j’ai fait du lobbying au parlement, des conférences dans les écoles. C’est là où j’ai développé une compréhension de l’intersection entre la politique et la cause environnementale.. Ça a commencé petit, puis ça a grandi au fur et à mesure que j’apprenais. »
Marion Thénault a aussi intégré la coalition de Green Sport Day Canada en 2025.
« Je veux prendre soin de mon sport du plein air et de la planète. Ça fait partie de qui je suis. » – Marion Thénault
Sport+Eco : Comment tu calcules ton empreinte carbone avec WSP ? Le partenariat WSP : un modèle à suivre.
Marion Thénault :
« Je leur ai demandé de calculer mon empreinte carbone globale, voir ce qui affectait le plus mes émissions, et comment on pouvait les réduire au maximum. C’était vraiment ça l’idée initiale.
C’était nouveau pour tout le monde : moi je n’avais jamais eu de gros sponsor, et eux n’avaient jamais sponsorisé une athlète. Ensuite je me suis assise avec les équipes qui calculent les empreintes carbone des entreprises. Je leur ai expliqué à quoi ressemble ma saison, mes déplacements. On a établi un protocole de collecte de données : chaque déplacement, moyen de transport, le covoiturage, le nombre de passagers, hôtels, etc.
On a décidé de ne pas inclure mes déchets, parce que ça serait irréaliste et minime comparé aux transports. On a donc gardé les déplacements et les hôtels qui représentent la plus grosse partie de l’empreinte carbone d’un athlète. »
As-tu été choquée par les résultats ?
Marion Thénault :
« Oui et non. Je savais que l’avion serait une grande source d’émissions, mais pas à ce point. La première année, c’était environ 89 %. Aujourd’hui, c’est 86 % pour 2023-2024 et 2024-2025. »

Sport+Eco : Quelles mesures as-tu mises en place suite aux premiers résultats ?
Marion Thénault :
« La première année, j’étais surtout en mode observation. Ensuite, j’ai pratiquement arrêté les vols courts quand un autre transport est possible (train, bus, covoiturage) En Amérique du Nord et en Europe, je prends principalement d’autres moyens de transport que l’avion quand c’est interne.
Un des pires moyens avec lesquels tu peux voyager, c’est tout seul dans une auto. Je fais beaucoup plus de covoiturage pour les courtes distances, comme Québec-Montréal. J’utilise davantage le transport collectif comme le train, ce qui me permet d’étudier tout en me déplaçant. J’ai aussi adopté le vélo électrique pour mes déplacements à Québec l’été, pour aller aux entrainements.
J’ai cessé de faire des allers-retours inutiles entre deux compétitions éloignées quand on a 1 ou 2 semaines entre elles. Je reste sur place plutôt que de revenir au Canada. Quand je reste en Europe, peu importe le gym dans lequel je vais, je suis capable de faire mon entrainement. Ça te permet de pouvoir t’adapter aussi. Ça a vraiment eu de gros impacts sur mes émissions.
Ces mesures ont vraiment un impact et elles sont agréables : j’aime me déplacer à vélo, j’aime le train, j’aime avoir du temps pour lire ou dormir plutôt que conduire. »
« Un des pires moyens avec lesquels tu peux voyager, c’est tout seul dans une auto » – Marion Thénault
Sport+Eco : Est-ce que ces changements compromettent ton bien-être ou ta performance ?
Marion Thénault :
« Mon Bien-être ? Définitivement pas. Au contraire. Le vélo, le transport collectif, rester sur place entre deux compétitions… tout ça augmente mon bien-être. Je n’aime pas conduire, donc prendre le train ou le bus, c’est mieux pour moi. Quand je suis en compétition, on va beaucoup se déplacer à pied ou en transport collectif.
Pour ma performance : non plus. Pas pour moi. Mais ça dépend des gens. Certains aiment leur routine et auraient peur de changer. Moi, je ne sens pas que ça me nuit. »
Comment ton entraîneur et ton équipe ont-ils réagi ? Quelle est leur perception?
Marion Thénault :
« Ça se passe très bien. Mon coach ne croit pas à une recette parfaite pour tout le monde. Il croit qu’il faut s’adapter pour chaque athlète en fonction de leurs besoins. Il sait que moi, je suis mieux et je performe mieux si j’agis en fonction de mes valeurs.
Des fois, les décisions que je prenais ont pu influencer les décisions qu’il prenait pour l’équipe. C’est niaiseux, mais de partir pour Montréal à partir de Québec en voiture avec toute l’équipe, ça va coûter vraiment moins cher que l’avion. On peut juste covoiturer pour aller à Montréal.
Ça arrive aussi des fois que la décision qu’on prend, ce ne soit pas la décision la plus éco-responsable. Il y a des raisons derrière, et je le comprends. Je ne pense pas qu’il faut s’attendre à la perfection. Je ne suis pas radicale non plus. »
SPORT+ECO : Est-ce que tu vois des changements auprès des fédérations provinciales, nationales et internationales dans ce sens-là ?
“ Je pense que là, on est à l’étape où les gens réalisent qu’il faut changer la façon de faire. Parce que dans mon sport particulièrement, les impacts des changements climatiques sont évidents et ça à un impact direct sur nos compétitions.
Dans les deux dernières années, il y a une acceptation générale Je peux donner plusieurs exemples. Il y a deux ans, la Fédération internationale de ski (FIS), il y avait peu de mesure de développement durable.
Puis, il y a eu une grosse pétition des athlètes envers la FIS. Au début de l’année 2023, 500 athlètes professionnels de sports d’hiver ont signé une lettre ouverte appelant la Fédération internationale de ski et de snowboard (FIS) à prendre davantage de mesures en faveur du climat. Suite à ça, en fait, au même moment, il y a une nouvelle responsable du développement durable qui est rentrée et qui était vraiment très engagée.
Au niveau de la fédération nationale, Freestyle Canada, on ne parlait jamais de ça. Maintenant, ils font partie du projet pilote du Comité Olympique Canadien. J’étais au kick-off meeting pour donner mes idées et donner mes orientations.
Au niveau provincial, avec Ski Accro Québec, il y a une politique très engagée sur le développement durable avec la mise en place d’une certification écoresponsable dans l’événementiel. “C’est une des plus engagées”
Puis niveau des athlètes, tu vas avoir plusieurs athlètes qui vont utiliser leur voix.” Comme on a pu le voir au-dessus ou dans mon article sur POW – Comment les athlètes canadiens défendent l’avenir du sport face au changement climatique ? – Sport+Eco
L’engagement ne repose pas sur une personne mais sur l’engagement de toutes les parties prenantes impliquées dans les compétitions et dans ces luttes contre le changement climatique.
SPORT+ECO : Quel est le rôle des athlètes dans le dialogue avec les fédérations ?
Les athlètes sont souvent pointés du doigt parce qu’ils voyagent pour leur compétition. L’empreinte carbone des athlètes peut être très importante, selon les circuits. Pourquoi l’empreinte carbone des athlètes explose ?
Marion résume la situation entre la fédération et les athlète comme un cercle vicieux :
« Il y a comme un rejet de responsabilité : l’athlète dit c’est la faute de la FIS, la FIS dit c’est la faute des athlètes. »
« Les athlètes pensent qu’ils n’ont aucune influence sur les fédérations et ils vont juste suivre. Et les fédérations disent que leurs décisions sont basées sur ce que les athlètes veulent. Les athlètes sont le centre de nos décisions. On ne peut pas faire quelque chose qui va à l’encontre des athlètes.
Pour assurer la pérennité du sport il est essentiel d’ouvrir le dialogue ou, comme Marion, de faire porter sa voix. Souvent la voix d’un et d’une athlète porte plus loin que la voix d’une personne en interne.«
C’est dans ce sens que Marion requestionne le calendrier de la FIS pour son circuit de compétition. Il lui arrivait de traverser l’océan Atlantique 3 fois dans la même saison. Est-ce qu’il serait possible d’optimiser le calendrier, se questionne Marion.
Elle ne s’arrête pas là et elle va présenter à la FIS une étude menée par la WSP. Ils ont ramassé les données sur toutes les coupes du monde pour présenter l’impact environnemental qui n’est pas optimal. Selon WSP et les calculs, il est possible de réduire de 27% les émissions GES en modifiant le calendrier.
« Une fois aux 4 ans, le monde me regarde. Je veux vraiment mettre de l’avant le travail que j’ai fait et sensibiliser la communauté. »
MILAN-CORTINA 2026 – Contexte favorable ?
Est-ce que tu vois des initiatives qui vont pouvoir t’aider dans ta démarche ?
Selon Marion, elle décrit un avantage concret vis a vis du systeme mise en place par le comité organisateru des Jeux d’hiver de MIlan-Caortina.
En effet, les Jeux de Milan-Cortina présentent six (6) zones de compétition réparties entre la Lombardie, la Vénétie et le Trentin-Haut-Adige. Les compétitions se dérouleront dans 93 % de sites existants ou temporaires, dont des installations datant des jeux d’hiver de 1956 à Cortina d’Ampezzo.
« Dans mon village, je vais être à distance de marche de tout et je ne bougerai pas pendant deux semaines. » souligne Marion. Elle rajoute qu’il y aura des navettes pour le public car la voiture est fortement déconseillée étant donné les conditions de route. “Je pense qu’on va être capable de faire des jeux qui n’ont pas vraiment besoin d’avoir des automobiles.”

SPORT + ECO : Comment tu vois l’avenir du sport d’hiver ? Et l’arrivée d’autres sports sans neige ?
Marion : Je ne pense pas qu’on va pouvoir avoir des jeux d’hiver dans 20 ans, 25 ans ou 30 ans. Ça prend tellement de ressources pour créer cette neige-là. Beijing était entièrement sur l’énergie artificielle. La quantité d’énergie nécessaire pour faire ça est complètement astronomique. Il y a de moins en moins de villes capables d’accueillir les Jeux d’hiver, avec des bonnes conditions.
Sport+Eco lui, posait la question sur l’arrivée de potentiel nouveau sport dans les jeux d’hiver à cause des conditions hivernales mais notamment suite à l’affirmation de Cohen … de voir intégrer le cross-country aux jeux d’hiver.
À cela, Marion répond : “Je ne pense pas qu’on sera capable de maintenir les Jeux tels qu’on les connaît… mais si on doit changer et ajouter d’autres sports, pourquoi pas ?”
Conclusion
Les jeux d’hiver sont menacés mais ne vont pas disparaitre tout de suite. De nombreuses solutions existent déjà pour préserver les sites, réduire les émissions et assurer l’avenir des sports de neige.
La voix des athlètes, comme celle de Marion, joue un rôle déterminant sur les décisions : elle influence les fédérations, les décideurs et les partenaires, et elle met en lumière des leviers d’action concrets. Grâce à une meilleure mesure de l’empreinte carbone notamment des déplacements, il devient possible d’orienter les choix, d’ajuster les calendriers et d’identifier les actions les plus efficaces pour réduire l’impact global du sport d’hiver.
Aucun acteur ne peut y arriver seul. La transformation repose sur une collaboration réelle entre athlètes, organisations sportives, fédérations, partenaires techniques et organisateurs d’événements. C’est ensemble que le sport d’hiver peut rester performant, accessible et durable.


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